« En lisant toutes ces fables, je n’ai point fait un grand crime aux auteurs de leurs mensonges ; car je vois que mentir est maintenant chose reçue, même chez ceux qui font profession de philosophie. Mais ce que j’admire en eux, c’est qu’ils s’imaginent faire illusion sur la fausseté de leurs récits. Aussi, poussé à mon tour par la gloriole de laisser quelque chose de moi à la postérité, mais n’ayant rien de vrai à dire — car il ne m’est rien arrivé de vrai qui mérite d’être mentionné — je n’ai pas voulu me priver seul de cette liberté générale d’inventer et de feindre. J’ai donc eu recours au mensonge, mais à un mensonge beaucoup plus honnête que les autres ; car, en déclarant que j’ai menti, je serai dans le vrai au moins sur ce point ; et, par cet aveu que je n’ai rien dit de vrai, j’échapperai, j’espère, au reproche qu’ont encouru les autres. Ce que j’écris, je ne l’ai point vu ; rien de pareil ne m’est arrivé ; je ne l’ai jamais entendu raconter ; bien mieux, il n’y a rien là ni de réel, ni même de possible. Aussi, j’engage les lecteurs à n’ajouter aucune foi à mes récits. »