I. Introduction :
Pour bien mesurer l'enjeu présent de la dématérialisation multiforme de l'argent et le couple qu'elle forme avec la déresponsabilisation du sujet politique, il faut en revenir à la distinction opérée par Aristote au Livre I (chap. 9) de La Politique entre “l'art d'acquérir” qui relève de l'administration familiale — cette véritable richesse qui n'est qu'un moyen — et celui dont le but même est de faire fortune, d'accroître son argent de manière illimitée — soit ce qu'il nomme “chrématistique” : “Le véritable art d'acquérir et la richesse naturelle sont deux choses différentes. Le vrai art d'acquérir relève de la gestion domestique ; le commerce, au contraire, est l'art de créer de la fortune, non pas par n'importe quel moyen, mais en échangeant des biens. Et c'est l'argent qu'elle semble avoir en vue. Car la monnaie est le fondement et le but de l'échange, si bien que la richesse qui provient de cette forme de l'art d'acquérir est théoriquement sans limite. De même, la médecine poursuit sans limite la guérison et chaque art cherche à atteindre sans aucune limite la fin qui est la sienne, car ils veulent tous y parvenir le mieux possible ; mais les moyens pour atteindre le but ne sont pas illimités, puisque ce but constitue toujours une limite : de même, pour cet art d'acquérir, il n'y a pas de limite à sa fin, et cette fin est la richesse mercantile et l'acquisition de la fortune.”